Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...« Ulysse, les chants du retour » par Jean Harambat
Jean Harambat revient avec un bel album racontant le retour à Ithaque d’Ulysse, présenté comme « un homme à la reconquête de soi ». L’auteur, scénariste et dessinateur, a fait le choix d’un récit fidèle à la tradition, mais privilégiant la dimension psychologique du héros qu’éclairent les médiations d’hellénistes renommés et de divers intervenants.
Jean Harambat a eu plusieurs vies. Ancien élève d’une grande école de commerce, diplômé de philosophie, actif un temps dans l’humanitaire, il se consacre à la bande dessinée depuis 2009 : année de la parution de l’ouvrage « Les Invisibles », remarqué et récompensé par le prix de la bande dessinée historique de Blois. Suivent une adaptation du roman inachevé de Stevenson, « Hermiston », et un volume sur le rugby (« En même temps que la jeunesse »). Il poursuit, aujourd’hui, dans la veine historique et littéraire. Un séjour à Ithaque lui a en effet inspiré le sujet de son dernier album consacré au retour d’Ulysse, tel que le rapporte la fin de « L’Odyssée ».
Face à ce monument de la littérature occidentale, classique parmi les classiques, se pose la question des choix : comment raconter de nouveau ce qui apparaît comme (plus ou moins) bien connu du lecteur ? Quel angle privilégier ? Comment accorder le traitement graphique à la tonalité du récit ? Jean Harambat se concentre sur les événements qui se déroulent dans l’île d’Ithaque, mais il évoque, par ailleurs, de manière naturelle et bien intégrée, certaines des aventures vécues antérieurement par son héros (la descente aux enfers, la fin de la guerre de Troie, le séjour chez l’enjôleuse Circée). Avec un souci constant de l’explication, il a en outre opté pour une formule originale, ce qui lui permet de décliner son récit à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, l’album se présente comme une narration très fidèle qui suit l’original pas à pas. On y découvre Ulysse, de retour dans son île-royaume, qui se lance dans une prudente, mais déterminée, reconquête de son rang et de sa position. Se faire reconnaître des siens, éliminer les prétendants qui courtisent sa femme et retrouver son trône, tels sont les objectifs d’Ulysse. Il le fait avec subtilité, ne se découvrant que peu à peu : en ce sens, Ulysse est bien l’anti-colonel Chabert ! Avec cette reconquête lente, tout empreinte de ruses et de suspense, Jean Harambat présente une mise en images fidèle du récit antique grec, mais il en exploite pleinement la dimension de l’incertitude, dans une préoccupation bien actuelle.
Par ailleurs, attaché aux contraintes d’une littérature dessinée ambitieuse, servant un propos à portée scientifique, l’auteur délivre, derrière le pur récit, une véritable analyse de dimension universitaire. Une bibliographie sélective d’une quarantaine de titres où abondent les ouvrages historiques, philologiques, anthropologiques, archéologiques et géographiques, anciens, classiques ou de la dernière nouveauté, confirme cette option d’une BD qui revendique sa vocation historiographique. Il en va de même pour les multiples références présentées dans le corps du récit et soigneusement identifiées in fine, dans un souci typique d’une démarche de sciences humaines. De même, loin de se contenter d’une pure narration, Jean Harambat n’hésite pas à nourrir son récit d’explications de nature structuraliste, destinées à éclairer la logique cachée du récit.
Enfin, l’auteur met en œuvre un ultime procédé avec le choix d’incérer des interventions de personnalités contemporaines : fonctionnant comme un drame antique, dont le chœur scande l’avancée du récit en mettant en tension les choix du héros, l’album fait intervenir tour à tour une série de choreutes, guidés par les brillants éclairages de Jean-Pierre Vernant dans le rôle du coryphée. Les propos des hellénistes (comme Jean-Pierre Vernant, Jacqueline de Romilly ou Brunon Mazzali), et des artistes (Pasolini, le sculpteur Giacomo Manzu ou l’inclassable T.E. Laurence), se mêlent à des témoignages à forte densité humaine (Jean Paul Kauffman, plusieurs habitants d’Ithaque) et permettent d’éclairer les dilemmes qu’eut à affronter Ulysse, mais également de préciser le sens de cette aventure pour le lecteur contemporain. Car cet album montre à quel point Ulysse, cet humain malmené par les dieux, se comporte en personnage menacé par l’altérité que sa ruse contribue à entretenir : cherchant à mettre fin au cycle de l’errance, il tente par la même de reprendre le cours de sa vie passée, de la reprendre en main tout court. Après avoir endossé, pendant ses aventures, une multitude de rôles, sera-t-il à même de retrouver la place qu’il a quittée vint ans auparavant en s’embarquant pour Troie ? Pour ce faire, il ne doit pas d’abord éliminer les obstacles, il ne doit pas seulement affronter le regard des autres, il doit avant tout se retrouver lui-même, notamment dans sa relation à ses proches serviteurs, mais également à son fil et par-dessus tout à sa femme, ultime épreuve dont dépend le succès final du héros et la justification de sa quête. En ce sens, si le rôle de l’aède est tenu par l’historien Jean-Pierre Vernant, Ulysse renvoie bien plutôt à l’auteur lui-même et à son lecteur.
Enfin, il importe de souligner les choix artistiques de Jean Harambat. Conformément à la dimension épique et dramatique de son sujet, il place dans la bouche de ses personnages des propos ciselés dans une langue tour à tour incantatoire et psalmodique d’une grande tenue. Le ton, la psychologie des personnages, les ressorts narratifs, le vocabulaire lui-même et certains effets de style (« les portes en bois plein ») renvoient directement à l’ambiance de l’œuvre d’Homère dont Jean Harambat reprend le rythme tout en scansions et litanies cycliques, héritées des récitations orales. Au plan graphique, il met en œuvre un style pictural dépouillé et expressionniste, propre à rendre l’intensité et le réalisme magique de ce conte mythologique. Alternant de manière rigoureuse les mises en pages (classiquement tramée pour le récit portant sur Ulysse, sans case ni bande lorsque sont convoqués les témoignages de contemporains), l’auteur n’hésite pas à recourir à certains effets archéologiques, présentant des figures noires, ocre ou blanches se détachant sur des fonds clairs, sombres ou froids, comme autant de clins d’œil au langage chromatique de la céramique grecque antique.
Au final, Jean Harambat nous gratifie d’un album d’une grande qualité, ambitieux et nourri, qui allie le charme d’un récit parfaitement orchestré, à la solidité d’un accompagnement didactique habilement intégré, le tout permettant une lecture à choix multiple ouverte à un public diversifié. Un nouvel exemple qui tend à confirmer la place de son auteur parmi les grands de la BD historique.
Joël DUBOS
« Ulysse, les chants du retour » par Jean Harambat
Actes Sud BD (26 €) – ISBN : 978-2-330-03646-1
Très bel article pour un magnifique album !
Jean Harambat nous surprend à chaque nouveau livre.